La Taxe sur la Valeur Ajoutée au Maroc
La réforme de la TVA revêt une grande importance pour la consolidation des recettes fiscales au Maroc eu égard à sa politique d’ouverture sur l’extérieur privilégiant les accords d’association et de libre-échange.
Les contraintes du démantèlement tarifaire ajoutées à celles de l’amenuisement des recettes de privatisation impliquent le renforcement du rôle que l’administration fiscale marocaine est appelée à jouer dans la mobilisation des recettes nécessaires au financement du budget de l’Etat.
Certes, des efforts de mobilisation de ressources provenant des impôts directs continuent à être déployés mais, considérant le dynamisme intrinsèque à la TVA, cet impôt s’avère plus indiqué pour mobiliser le potentiel de recettes à même de faire face au recul de la fiscalité douanière consécutive à l’ouverture des frontières.
L’élargissement de l’assiette fiscale sous-tend une importance majeure accordée à la réforme de la fiscalité domestique et en particulier la TVA qui est un impôt général sur la consommation et dont l’optimisation du rendement permettrait de mobiliser des ressources internes supplémentaires et d’assurer la transition fiscale.
D’ailleurs, la plupart des pays de l’Union Européenne ont pu en faire l’expérience à l’ouverture de leurs frontières. En effet, la majorité d’entre eux ont choisi d’actionner le levier de la TVA plutôt que celui des impôts directs pour les raisons de neutralité et de rentabilité.
I - Les systèmes antérieurs d’imposition de la dépense
Avant l’avènement de la TVA, en 1986, deux systèmes d’imposition de la dépense se sont succédés au Maroc.
1 - La taxe sur les transactions
Dès 1948, fut instituée une forme rudimentaire de l’imposition de la dépense, appelée « Taxe sur les transactions ». Elle s’appliquait partiellement aux ventes réalisées par les commerçants et les industriels, aux prestations de services et aux travaux de construction.
2 - La taxe sur les produits et la taxe sur les services (TPS)
Instauré en 1962, ce nouveau système d’imposition était dualiste, basé sur deux taxes d’économie différente :
• La taxe sur les produits applicable essentiellement aux opérations portant sur la fabrication de biens matériels, avec l’octroi d’un droit à déduction limité.
• La taxe sur les services applicable aux prestations de services et certaines professions libérales sans aucun droit à déduction (caractère cumulatif)
Les taux d’imposition étaient au nombre de onze (11) ; ils allaient de 4.17% à 30%.
3 - Le passage à la TVA
Devant les mutations du contexte socio-économique, la TPS en tant que système d’imposition sur la consommation devenait inadapté. Cette taxe présentait les inconvénients ci-après :
• un droit à déduction limité ;
• un aspect cumulatif ;
• un champ d’application étroit.
Ces caractéristiques en faisaient une taxe rémanente qui produisait des distorsions notamment au plan des coûts de production des entreprises.
Un tel système ne pouvait plus jouer son rôle économique : assurer la neutralité concurrentielle, encourager l’investissement et annuler les distorsions au niveau des coûts et des prix.
C’est pour palier ces insuffisances que la loi cadre de 1984 a prévu une refonte globale du système fiscal marocain, préconisant entre autre le remplacement de la TPS par la TVA qui a permis :
• la fusion des deux taxes ;
• l’extension du champ d’application au secteur de distribution (commerce de gros) ;
• la généralisation du droit à déduction ;
• la contraction du nombre de taux.
A la condition toutefois d’assurer un double équilibre à savoir :
• maintenir le niveau des recettes ;
• agir le moins possible sur le niveau général des prix.
II - La TVA actuelle
Comme toutes les TVA ayant cours dans le monde, la TVA marocaine repose sur deux principes fondamentaux :
• l’impôt à paiements fractionnés ;
• la compensation aux frontières.
Si ces deux principes se retrouvent dans la TVA marocaine, il n’en demeure pas moins que celle ci présente des nuances par rapport à celles pratiquées dans les autres pays en ce qui concerne le champ d’application, les règles d’assiette, les régimes d’imposition et les garanties octroyées aux assujettis.
1 - Le champ d’application
La TVA marocaine s’applique aux activités de nature industrielle ou artisanale, aux prestations de services à certaines professions libérales, et aux ventes en l’état effectuées par les commerçants dont le chiffre d’affaires réalisé l’année précédente n’atteint pas deux millions de dirhams et aux opérations d’importations.
Les activités agricoles et une grande partie du secteur de distribution n’entrent pas dans le champ d’application de la taxe et certaines opérations en sont exonérées.
Il y a lieu de distinguer entre trois catégories d’exonérations selon leur incidence sur le prix de revient et sur la trésorerie de l’assujetti :
1. exonérations sans droit à déduction ou exonérations simples : elles obligent l’assujetti à vendre en hors taxe et à acheter ses inputs avec TVA sans pouvoir pour autant la récupérer. Elles concernent un certain nombre de produits et de services tels que les produits de première nécessité et les prestations rendues par les petits fabricants et les prestataires qui réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur ou égal à 180.000 dirhams ;
2. exonérations avec droit à déduction : elles permettent à l’assujetti à vendre en hors taxe et à acheter ses inputs avec TVA qu’il pourra récupérer par le biais de la déduction ou du remboursement. Au Maroc, les exonérations avec droit à déduction ne portent pas uniquement sur les opérations d’exportation et de transport international, mais concernent également un large éventail de produits et de services vendus localement.
Enfin dans certains cas, il est permis aux personnes, effectuant des opérations hors champ ou exonérées sans droit à déduction, d’opter pour l’assujettissement à cette taxe.
2 - Règles d’assiette
Fait générateur
A l’intérieur, le régime de droit commun en matière de fait générateur est l’encaissement du prix des produits et marchandises vendues, des services fournis et des travaux exécutés.
Toutefois, pour des commodités de gestion, l’option pour le régime des débits (facturation) est permise.
Pour les cas où le règlement des marchandises, ou travaux se fait par voie de compensation ou d’échange ou lorsqu’il s’agit de livraison à soi-même de biens meubles ou de constructions, le fait générateur se situe au moment de la livraison des marchandises ou des biens, ou de l’achèvement des travaux.
A l’importation, le fait générateur se situe au moment du franchissement des frontières par la marchandise (dédouanement).
La base imposable
La base imposable est constituée par :
• la valeur de la marchandise, des travaux ou des services
• les frais relatifs aux ventes ;
• les recettes accessoires ;
• les compléments de prix ;
• les droits et taxes à l’exclusion de la TVA ;
• les produits financiers.
Le tarif de l’impôt
Les taux de la TVA sont au nombre de quatre :
• Un taux normal de 20%
• Un taux de 14% auquel sont soumises les opérations de transport, l’électricité et les travaux immobiliers ;
• Un taux réduit de 10% réservé notamment aux secteurs de l’hôtellerie et de la restauration ;
• un taux réduit de 7% applicable aux produits de large consommation.
Les déductions
L’assujetti est autorisé à déduire de la TVA collectée, la TVA qui a grevé les achats de marchandises, matières, services, frais généraux et équipements.
Les régimes d’imposition
Il existe deux régimes :
• le régime de la déclaration mensuelle réservé aux assujettis ayant réalisé l’année précédente un chiffre d’affaires taxable supérieur à 1.000.000 de dirhams ;
• le régime de la déclaration trimestrielle ouvert aux assujettis réalisant un chiffre d’affaires taxable inférieur au seuil précédent et aux nouveaux redevables.
Il n’est pas prévu de régime de forfait.
Droits et obligations des assujettis
Au niveau des obligations, en plus de celles comptables, les assujettis à la TVA doivent déposer chaque mois ou chaque trimestre une déclaration périodique de chiffre d’affaires et verser en même temps la TVA exigible sur les opérations effectuées pendant la période d’imposition concernée.
Cependant, si la TVA est par essence un impôt déclaratif, qui est liquidé par l’assujetti et sous sa propre responsabilité, la loi permet à l’administration fiscale, d’émettre l’impôt en cas de défaillance, de vérifier la sincérité des déclarations et d’y apporter le cas échéant les rectifications qui s’imposent.
Pour permettre à l’Administration Fiscale d’exercer dans de bonnes conditions son droit de contrôle, toute personne physique ou morale assujettie à l’un des impôts assis par la Direction Générale des Impôts est soumise au droit de communication.
Les assujettis bénéficient de garanties importantes qui se matérialisent à travers les nombreuses voies de recours :
• recours administratif ;
• recours dans le cadre d’une procédure contradictoire (c'est-à-dire suite à vérification)
1 – Recours administratif
Le droit de réclamation s’exerce sous forme d’une simple requête adressée au Directeur général des Impôts dans un délai maximum de 6 mois après la mise en recouvrement de l’impôt.
En l’absence de réponse ou de persistance du désaccord, l’intéressé peut saisir le tribunal compétent.
2 - Recours dans le cas d’une procédure contradictoire
Ce recours s’exerce en cas de contestation des bases d’imposition rectifiées lors d’un contrôle fiscal, à travers le pourvoi devant les commissions d’arbitrage (Commission locale de taxation, commission nationale du recours fiscal), et, si le désaccord persiste, par la saisine de la justice.
Recours devant les commissions d’arbitrage
Commission locale de taxation
C’est une commission arbitrale de compétence régionale, présidée par un juge et comprennent un représentant du gouverneur de la province (autorité locale), un représentant des redevables et un représentant de l’administration fiscale.
Le pourvoi devant cette commission suspend le recouvrement.
Commission nationale du recours fiscal
Cette commission a une compétence nationale ; elle est placée sous l’autorité directe du Premier Ministre et se subdivise en trois sous commissions. Chaque sous commission est présidée par un juge et comprend deux représentants des redevables choisis parmi 30 personnes du monde des affaires. Deux fonctionnaires détachées représentants l’administration. Elle n’est habilitée à connaître que des questions de fait et doit se déclarer incompétente pour les questions de droit.
Après décision de la commission nationale du recours fiscale, l’imposition arrêtée est mise en recouvrement.
Recours devant les tribunaux
L’assujetti qui n’est pas satisfait de la décision de la commission nationale du recours fiscal dispose de 60 jours pour porter le litige qui l’oppose à l’administration devant les tribunaux.
III - Réajustements apportés et perspectives d’avenir
Réajustements
Au cours de ces dernières années de nombreux aménagements ont été apportés au texte original, ils ont porté essentiellement sur :
• le reclassement de certaines activités en ce qui concerne le tarif applicable ;
• l’introduction de nouvelles exonérations ;
• la suppression du taux majoré de 30 % ;
• l’uniformisation des procédures avec celles régissant les autres impôts ;
• le renforcement des garanties du redevable.
Pour ce qui est de la gestion de l’impôt et de l’organisation des services fiscaux, de nombreuses étapes ont été franchies pour passer d’une structure centrée « métiers » vers celle centrée « usagers ».
La simplification des démarches du contribuable ont été au centre de la réflexion menant l’administration à entamer plusieurs chantiers organisationnels visant l’amélioration de ses modes de gestion et de ses rapports avec les usagers. Ces restructurations se sont déroulées en trois étapes essentielles :
• une restructuration fonctionnelle a d’abord décloisonné l’administration par la fusion des services (Impôts directs, Taxe sur le chiffre d’affaires, Enregistrement et timbre) en une configuration cristallisée autour des trois fonctions principales : assiette, vérification et contentieux ;
• une deuxième phase est venue renforcer la décentralisation par :
- la création de 11 directions régionales et 7 directions préfectorales des impôts polyvalentes et disposant d’attributions renforcées ;
- le transfert au niveau régional de nouvelles attributions en matière de gestion des ressources humaines ;
• la réorganisation entamée depuis quatre ans vise :
- le renforcement de la déconcentration par l’octroi d’une plus grande autonomie de décision aux directeurs régionaux et préfectoraux. Cette responsabilisation se manifeste notamment en matière de TVA au niveau du remboursement de la taxe ; ainsi plus de 80% des dossiers de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée sont pris en charge par les services locaux ;
- l’instauration d’une gestion de proximité et la création d’entités spécifiques chargées des grandes entreprises, des professionnels et des particuliers. La création de services des grandes entreprises à Casablanca et Rabat a permis d’assurer un service adapté aux entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 5 millions d’Euros, aux entreprises du secteur financier et aux établissements stables des sociétés étrangères.
Perspectives d’avenir
L’administration fiscale a engagé en 2005 la poursuite de la réforme de la TVA par l’adoption de certaines mesures en vue d’atteindre les objectifs de rendement, de modernisation et de simplification de cette taxe.
Ces mesures dont l’adoption est programmée sur trois ans, s’articulent autour des axes suivants :
• la réduction des exonérations ;
• la diminution du nombre des taux ;
• la fixation d’un seuil d’assujettissement ;
• l’élargissement de l’assiette ;
• l’amélioration du remboursement de la TVA ;
• la modernisation du système administratif.
1 - La réduction des exonérations
Cet objectif est poursuivi à travers le renoncement à toute nouvelle exonération et l’assujettissement des biens et services actuellement exonérés à un taux réduit.
Dans ce sens, il s’agit d’appliquer un taux réduit de TVA aux produits actuellement exonérés et de réserver le taux zéro uniquement aux opérations d’exportation et au transport international.
Des estimations des dépenses fiscales en matière de TVA sont actuellement en cours pour mesurer l’impact budgétaire des exonérations et permettre au gouvernement d’opérer des choix entre la dépense fiscale et la dépense budgétaire.
2 - La diminution du nombre des taux
La politique de taux de TVA différenciés a démontré son manque d’efficacité pour atteindre les objectifs sociaux.
La simplification de la structure des taux permettrait de diminuer les coûts de gestion de la TVA pour les entreprises, de faciliter le contrôle de l’Administration fiscale mais aussi d’éliminer progressivement les situations de crédits structurels qui pénalisent les entreprises.
La vision moderne des systèmes de taxation sur la dépense, en accord avec les meilleures pratiques au plan international, consacre l’application d’une TVA à taux unique en plus du taux zéro exclusivement applicable aux exportations.
La transition vers ce système est généralement assurée à travers l’adoption de deux taux : l’un compris entre 7% et 10% et le deuxième entre 18% et 20%.
3 - La fixation d’un seuil d’assujettissement
La fixation d’un seuil d’assujettissement adéquat et suffisamment élevé éviterait la gestion d’un grand nombre de dossiers à faible potentiel et permettrait de maîtriser les coûts de collecte de l’impôt aussi bien pour l’Administration que pour les entreprises.
Un travail sur les seuils d’imposition permettrait également de procéder à une harmonisation de ces seuils avec ceux prévus en matière d’IGR.
4 - L’élargissement de l’assiette
La simplification du système de la TVA va de pair avec le renforcement de l’efficacité de cet impôt à travers sa généralisation à l’ensemble des secteurs et des agents économiques intervenant dans le processus de production et de distribution des biens et services.
5 - L’amélioration du remboursement de la TVA
Comme il a été précisé, le système actuel ne prévoit le remboursement du crédit de TVA qu’en faveur des opérations d’exportation et des activités soumises au taux 0.
Les situations créditrices générées notamment par le différentiel de taux ne donnent pas lieu à remboursement.
Une réflexion est engagée en vue d’étudier la possibilité de généraliser le remboursement de la TVA pour assurer la neutralité économique et financière de la taxe.
Cela suppose deux préalables majeurs :
• l’élargissement de l’assiette de la TVA à tous les secteurs d’activité ;
• la modernisation de la gestion du remboursement.
6 - Modernisation du système administratif
Dans le cadre des efforts déployés pour la modernisation du système fiscal, plusieurs chantiers organisationnels ont été entamés par l’administration fiscale :
• l’adoption d’un identifiant unique (TVA/IS, TVA/IGR) ;
• la rationalisation de la gestion de la TVA.
L’adoption d’un identifiant unique
L’introduction d’un système de gestion intégrée des dossiers des contribuables est le résultat d’efforts de près d’une décennie. Au terme de cette évolution, le contribuable a un seul interlocuteur au niveau de la Direction Générale des Impôts au titre de tous les impôts et taxes dont il est redevable.
L’amélioration du rendement fiscal qui découle de cette nouvelle organisation résulte d’un meilleur comportement fiscal des contribuables et d’une plus grande efficacité de l’administration. En effet, bénéficiant de la proximité et de l’unicité de la source d’information fiscale, le contribuable est renseigné de façon complète et interactive à même de lui permettre de connaître ses droits et de s’acquitter au mieux de ses obligations.
Sur le plan de l’administration, un large programme d’informatisation et de modernisation des méthodes de gestion, est poursuivi en vue d’assurer une plus grande maîtrise de la situation fiscale des contribuables.
Rationalisation de la gestion de la TVA
La gestion du recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée est confiée à l’Administration fiscale depuis l’année 2004. Cette mesure s’inscrit dans le cadre des actions visant un meilleur traitement des dossiers des redevables, notamment en ce qui concerne :
• la gestion du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ;
• la centralisation des opérations comptables et de saisies des données ;
• la réduction des litiges découlant des taxations d’office faisant double emploi avec les déclarations déposées auprès des percepteurs ;
• le suivi des régularisations des redevables retardataires ;
• et le contrôle et le suivi des déclarations du chiffre d’affaires.
Ces actions permettront de moderniser notre système de taxation indirecte pour lui permettre de jouer le rôle qui lui est dévolu dans la mobilisation des recettes fiscales